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Guerre hybride : Quand un général nous explique cette expression

Publié le 25 septembre 2024 ...

#Comprendre #Sécurité

Avec la guerre que fait la Russie à l’Ukraine, des réalités peu connues de la population deviennent plus présentes dans notre actualité. C’est le cas de la guerre hybride. Avec le général François Chauvancy, la réalité, parfois crue de ces termes, nous apparait plus clairement.

Qui êtes-vous Général Chauvancy ?

Quelques mots vous concernant, général, ce grade ne disant pas beaucoup de votre expérience.

Tout d’abord, vous saint-cyrien, breveté de l’École de guerre et docteur en sciences de l’information et de la communication (CELSA). Vous n’êtes plus à ce jour en service actif et si l’on veut résumer ce dernier, on peut dire que vous avez servi au Kosovo, en Albanie, en ex-Yougoslavie, au Kosovo, aux Émirats arabes unis, au Liban et à plusieurs reprises en République de Côte d’Ivoire. Dans ce dernier pays, sous l’uniforme ivoirien, vous avez formé pendant deux ans une partie des officiers de l’Afrique de l’Ouest francophone.

Vous avez représenté la France auprès de l’OTAN dans les groupes de travail sur la communication stratégique, les opérations sur l’information et les opérations psychologiques.

Par ailleurs, vous réfléchissez beaucoup aux questions de stratégie d’influence et de propagande. Vous donnez des cours en Master 2 sur les stratégies d’influence dans les conflits et écrivez beaucoup[1] sur ces questions.

J’ajouterai enfin que vous êtes consultant géopolitique sur LCI depuis mars 2022, conseiller municipal dans votre commune et président de plusieurs associations patriotiques dont l’Association Nationale des Officiers de Carrière en Retraite, des Veuves, Veufs et Orphelins d’Officiers (ANOCR), reconnue d’utilité publique.

[1] Pour celles et ceux qui voudraient en savoir plus, vous pouvez consulter ces deux liens (articles publiés sur) Cairn, (courte bio sur)Theatrum Belli

 

𝐋𝐚 𝐠𝐮𝐞𝐫𝐫𝐞 𝐡𝐲𝐛𝐫𝐢𝐝𝐞, 𝐤𝐞𝐬𝐚𝐤𝐨 ?

𝐓𝐡𝐁 : On entend beaucoup parler de guerre hybride depuis que la Russie est entrée en guerre contre l’Ukraine. On comprend que c’est une guerre qui n’est pas seulement menée sur le terrain avec des chars, des canons et des soldats. Votre parcours me semble faire de vous « la » personne à même de nous parler simplement, concrètement, de ce que recouvre cette expression.

FC : Guerre hybride et plus exactement « menaces hybrides » est une expression utilisée au sein de l’OTAN il y a déjà plus d’une dizaine d’années sans qu’une définition définitive n’ait émergé. La guerre en tant que telle a toujours été hybride, ne pouvant se limiter au seul domaine militaire. Le terme « guerre hybride » est plutôt une expression « médiatique » pour dénommer un phénomène que l’on ne veut pas voir dans un monde notamment européen ayant décrété que la guerre ne pouvait plus exister hormis sous sa forme purement militaire et strictement encadrée par le droit international.

Globalement, depuis 1945, on ne fait plus la guerre en Europe. Par contre, on mène des guerres où l’armée n’est que la composante de la stratégie générale d’un belligérant utilisant aussi bien l’économie, la diplomatie, l’espionnage, l’assassinat, la destruction d’infrastructures civiles d’une manière plus ou moins ouverte, en évitant autant que possible d’endosser la responsabilité de l’action.

La guerre hybride repose donc sur la combinaison ou la fusion d’instruments de puissance conventionnels et non conventionnels, de méthodes subversives. L’objectif est d’exploiter les vulnérabilités de l’adversaire dans tous les domaines, pas uniquement militaires, et de réaliser des synergies en employant ces outils, de façon coordonnée, dans le but d’infliger le plus de dommages possibles à l’État visé. En outre, elle brouille les lignes entre le temps de guerre et le temps de paix. De fait, il devient difficile de discerner le seuil à partir duquel on peut parler de guerre et donc de mobiliser les moyens de l’Etat agressé pour répondre à la menace et à la désignation claire de l’ennemi.

Pour le dire autrement, ce type de guerre est la mise en oeuvre d’une stratégie d’influence qui évite le recours direct aux forces armées aux résultats aléatoires. Il a par exemple été utilisé par les pays communistes, sous la férule de l’URSS depuis 1945. Donc, rien de neuf…

À l’époque, les pays occidentaux s’en protégeaient parce que nous sortions de la guerre et que la menace communiste de l’extérieur et de l’intérieur était clairement identifiable.

Depuis, nous avons perdu cette aptitude à combattre ce qui n’est pas visible avec cette approche relativiste de toutes les situations. Pourtant cela n’a pas été faute d’alerter sur ces menaces hybrides. Prenez les discours tenus par nos chefs d’état-major depuis des années. Ils nous alertaient sur un monde dangereux face auquel nous devions nous préparer, apprendre à résister.

Pour celles et ceux qui voudraient aller plus loin, voici quelques résumés d’articles sur la guerre cyber recensés et publiés dans la « biblioveille » de l’École militaire (ici).

𝐓𝐡𝐁 : Après 1945, nous avons donc su résister sans naïveté et mener des actions de type guerre hybride, mais comment expliquer que, par exemple dans le domaine de la guerre d’influence, nous ne le faisons plus avec la même intensité aujourd’hui ?

FC : Je l’explique simplement par le fait qu’on ne sait pas maintenir, dans la durée, une société, donc son armée et les décideurs politiques en état de vigilance permanente, sauf peut-être en Russie ou tout autre Etat autoritaire. Il y a un moment où vous devez soulager la pression parce qu’on ne peut pas toujours être en vigilance à 100 % sans négliger les phénomènes de lassitude, de fatalisme… ou d’hédonisme.

L’exemple le plus concret, certes factuel dans l’actualité récente et dans le contexte d’une guerre « classique », est la frappe russe du 4 septembre 2024 sur un établissement militaire ukrainien où se déroulait en extérieur une prise d’armes pour une remise de diplômes. Cette attaque a fait au moins 51 morts et des centaines de blessés.

51 morts que je n’explique pas uniquement parce que les Russes ont su frapper au bon moment, au bon endroit.

Je l’explique également parce que, côté ukrainien, au bout de 30 mois de guerre, on s’habitue au danger et la vigilance baisse.

On constate le même phénomène chez les combattants après plusieurs mois dans les tranchées sans relève.

Et, ce qui vaut pour une guerre menée avec des chars et des troupes sur un champ de bataille vaut pour une guerre hybride menée sur des sites internet, avec des armes idéologiques. On s’habitue, on baisse la garde… et l’adversaire à l’affut saisit l’opportunité.


Notre discussion ne s’est pas arrêtée là puisque nous avons également parlé d’économie de guerre, avant de discuter de notre armée dans ce monde bien conflictuel.

Alors à bientôt…