Autant le dire d’emblée, les écrivains qui m’ont marqué et peut-être façonné sont loin des grands classiques français. Il y eut Kessel, Cendrars, de Monfreid et, évidemment, Hemingway. Il y en eut d’autres dans ces années où se sont formés mes goûts littéraires, mais ces quatre sont restés, m’ont accompagné et ne sont jamais loin de moi.
Hemingway, des paysages et des lions au bord de la mer
Publié le 7 décembre 2024 ...
Passager clandestin d’une fin de vie
Quand le nom de l’un ou l’autre membre de cette escouade est cité, toute mon attention se mobilise. C’est un peu comme si l’on parlait d’un ami, sachant que, parmi eux, il en est un qui garde une part de mystère, pour avoir choisi sa manière de mourir.
Alors, quand le livre de Gérard de Cortanze est sorti en librairie pour nous raconter les derniers mois de la vie d’Ernest Hemingway, j’ai eu envie d’être le passager clandestin du dernier voyage de celui qui fut chasseur, pêcheur, buveur, voyageur et magicien des mots.
Dans ce livre les dates les lieux, comme les incidents et les internements, sont réels. Pour le reste, les mots dits, les anathèmes, les rêves éveillés, comme les échanges avec Mary Welsh, sa dernière femme sont imaginés.
Une impuissance à écrire
Gérard de Cortanze, s’appuyant sur un énorme travail préalable de documentation et de multiples lectures, sait recréer la tension de cette dernière année de la vie d’Hemingway. Au cours de celle-ci, l’auteur abandonne progressivement ce qu’il aime, à commencer par Cuba. Ensuite, ce sera l’adieu à l’Espagne et aux corridas…
Puis viendront les séances d’électrochocs dans une clinique du Minnesota avant de se réfugier dans sa maison de Ketchum (Idaho).
Les mots et le rythme que leur donne G. de Cortanze me font vivre avec Hemingway les moments où il avoue son impuissance à écrire, ses espoirs comme ses questionnements à ce propos.
Je suis également au plus près de ce qui pourrait ressembler à des accès de folie devant ses impuissances créatrices[1], bien évidemment, mais ses accès de rage devant l’incompréhension de celles et ceux qui l’entourent face à ce qu’il vit.
[1] À ce propos, Hemingway dit à Mary un jour de 1960 : « Avant, quand mes personnages parlaient, c’était si rapide que je n’arrivais pas à suivre la cadence sur ma machine. Maintenant c’est différent. La matière première a cessé de jaillir naturellement ? Ce n’est plus un puits artésien il faut pomper, pomper. Avant le monde me traversait, je filtrais, je distillais. À l’arrivée, il y avait un résidu plus réel, tellement plus beau que le monde… ».
Terrible et hypnotique lecture
Le voyage auquel me convie G. de Cortanze est terrible, puisque je sais que, le 2 juillet 1961, l’inéluctable nous attend. C’est un peu comme ces films qui débutent par un crime, un accident, une chute mortelle, avant de revenir en arrière. Alors se met en place une mécanique implacable, même si, parfois, on se prend à rêver à une résurrection. J’embarque donc un peu moins d’un an, avant la date fatidique, avec Ernest et Mary.
Je suis avec eux, lors de disputes et de réconciliations, avec lui à une dernière pêche homérique, toujours avec lui, quand il voit — ou croit voir — des agents du FBI, comme avec le médecin qui s’occupe de lui à la clinique Mayo où il a été interné sous une fausse identité.
Et Mary !
Dans ce dernier voyage qui mène Hemingway de Cuba à Ketchum, sa maison dans l’Idaho, une personne est présente à ses côtés. Il s’agit de sa femme, Mary. Elle est tellement présente qu’il me semble, aujourd’hui, mieux la connaître. J’ai en effet souffert pour elle, avec elle aussi. Nous avons, parfois, espéré ensemble.
A propos du titre de cet article :
Le titre choisi par G. de Cortanze est tiré du livre « le Vieil homme et la mer » : « Il ne rêvait plus jamais de tempête ni de femmes, ni de grands événements… Il ne rêvait que de paysages et de lions au bord de la mer».
Pour qui connait la vie d’Hemingway, on peut le reconnaître dans cette citation
Il ne rêvait plus que de paysages et de lions au bord de la mer – Les derniers jours d’Ernest Hemingway, par Gerard de Cortanze, aux Éditions Albin Michel (sept.2024)