Attention, embarquement pour une histoire, vraie, drôle… Une histoire qui est aussi un au revoir à un ami qui donna naissance à un personnage du « Port de la Mer de Glace ».
LE MOZART DU COMPTOIR (Par Dominique Potard)
Publié le 5 décembre 2023 ...
Récemment, je publiais la transcription d’un échange avec Dominique Potard. Aujourd’hui, voici un de ces textes qu’il poste régulièrement (Fb). Il nous permet de plonger aux sources de son célèbre « Port de la Mer de Glace » et de ses suites. Je le publie, évidemment, avec son autorisation. Il en est de même pour la photographie (de Sylvie).
René Fallet disait : il y a deux catégories de femmes, les « chante-la-joie » et les « pisse-vinaigre ». Il y a aussi deux catégories de barmen : ceux qui participent, et ceux qui ne participent pas.
Alors que l’apéro bat son plein, ceux qui ne participent pas commencent à poser les chaises sur les tables, leur serveuse vous demande de lever les pieds pour passer la serpillière.
Heureusement, il y a les autres. Ceux qui participent. Comme Didier.
Hiver 1997. Je vis en colocation à la Rosière – banlieue sud d’Argentière – avec Didier, barman au Savoy-Bar.
Nous nous croisons tous les matins. Je pars sur les pistes et lui revient d’un after.
– Bonne journée !
– Bonne nuit !
Ah, le Savoy-Bar de cette époque ! Avec Jean-Luc, « l’Héritier », comme chef d’orchestre et Didier comme premier violon…
On savait quand on y entrait, mais quand on en sortirait, dans quel état ? Ça relevait des sciences occultes.
Chaque jour, je pose un chapitre du Port de la Mer de Glace, mon roman en gestation, sur la table de nuit de mon coloc. Pour cette histoire de piliers de bar, avoir un professionnel du zinc comme premier lecteur, je ne pouvais rêver mieux.
Il fait même partie des personnages, sous le doux nom de Séraphin.
Quand il est en congé, Didier m’initie à la cuisine, et je l’emmène skier sur les glaciers.
Je l’entends encore m’expliquer comment poêler du foie gras, avec son accent de joueur de boules :
– C’est tout simple ! Tu déglaces tes sucs avec du vinaigre de framboise, comme ça, youhou ! Emballez, c’est pesé !
Quelques mois plus tard, les Koflash – groupe de rock dont il est le manager (cf. « Les Koflash en Thaïlande » sur ma page FB) donnent un concert pour célébrer l’été, à la buvette de Bérard. Bringue d’anthologie.
A 4 h du mat’, Pascal, un pote guide propriétaire d’un pick-up, Paulo, un pote photographe, et moi nous installons dans l’habitacle du véhicule. Didier s’allonge à l’arrière, dans la benne.
Nous voilà partis, cahotant sur un chemin truffé de pavés.
Pascal n’est pas du genre à lambiner au volant : nous ne tardons pas à rejoindre la route nationale.
– Ça va Didier ? demande Paulo en se retournant.
« Merde ! Il est plus là ! »
Nous refaisons le parcours, interrogeons vainement la nuit.
– Bon, ben, y’a plus qu’à attendre le jour… conclut Pascal en enclenchant la première.
10 h. Je me réveille, un troupeau de bisons sous le casque.
En buvant le café, je refais la soirée.
– Merde, et Didier ?
Je saute dans ma bagnole, rejoins le chalet Skiroc, habitation la plus proche de la disparition.
Il est bien là. En piteux état, couvert de boue, les jeans déchirés, une grosse branche en guise de canne, mais il est là, au bar, en compagnie de Philippe, le tôlier du chalet.
Il nous raconte qu’il est passé par-dessus bord au premier virage, qu’il a débaroulé dans un ravin et s’est retrouvé seul, en pleine nuit dans la forêt. Après avoir tenté de remonter sur le chemin, débaroulé une seconde fois, une troisième, il s’est écroulé dans les taillis et endormi.
Au matin, coupant droit devant lui, il est arrivé là.
Hier, Séraphin, droit devant lui, a rejoint le domaine des anges. Bien triste nouvelle ici-bas.
En revanche, là-haut… J’imagine leurs mines, ceux partis trop tôt, les Hervé, Elena, Michel, Roselyne….
A eux, le virtuose du tire-bouchon, le maestro de l’apéro, le Mozart du comptoir, le Chopin de la chopine !
