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One Health, comprendre pour agir dans un monde complexe (1/3)

Publié le 6 février 2025 ...

#Comprendre #Santé #sciences

De temps à autre, par exemple à l’occasion de l’apparition d’un virus, l’expression « One Health » est prononcée, avant de vite passer à autre chose. Je vous propose d’en faire le tour en deux temps, avec Patrick Giraudoux, référence sur ce sujet. Aujourd’hui, nous définissons One Health et son intérêt.

Patrick Giraudoux

Pour le dire avec un peu d’humour — et d’admiration — Patrick Giraudoux est pour moi l’Indiana Jones de l’écologie, par les pays qu’il a pu parcourir, de Kinshasa au plateau tibétain et à la chaine montagneuse du mont Emei (au Sichuan en Chine) — pour des recherches diverses. Bien évidemment, il me corrigerait en me disant qu’il est loin de travailler seul — c’est vrai — comme lorsqu’il coorganisa ses expéditions ou lorsqu’il cofonda, au sein de l’université Marie et Louis Pasteur (Franche-Comté), le laboratoire Chrono-environnement à Besançon.

Le laboratoire en question compte aujourd’hui 283 membres travaillant autour de cinq thématiques scientifiques (des agents pathogènes à l’archéologie et l’histoire des risques en passant par des recherches sur les socio-écosystèmes des zones arctiques et boréales).

Comme il est toujours important de savoir d’où nous parlent les rédacteurs d’un texte, sachez que j’ai une formation scientifique et une pratique du monde de l’entreprise avec des outils tels que l’ISO 9001. Quant à Patrick Giraudoux, qui va nous guider dans les lignes qui suivent, retenons la manière synthétique dont il résume son travail :

« Mes recherches portent sur l’écologie du paysage et de la faune sauvage.

 Je m’intéresse sur cette base aux relations entre écologie et santé

et aux conflits entre humanité et faune sauvage ».

One Health, késako ?

ThBrenet : Il est vrai que, si l’on veut faire connaître, pour ensuite faire adhérer le plus grand nombre à l’approche que recouvre cette expression anglo-saxonne, il est important de ne pas s’arrêter à l’expression anglosaxone « One Health ». En effet, elle ne reflète en rien ce que porte cette expression en termes de réflexion et de démarche. Donc, comme Patrick Giraudoux, commençons par une traduction plus fine, « Une seule santé ».

 

Cette traduction, « UNE SEULE SANTÉ », fait peut-être moins sérieux que la version anglaise, mais l’adjectif « seule » peut déjà faire naître des questions : pourquoi parler d’une seule santé ? Y en aurait-il plusieurs ? Et pourquoi n’en faire qu’une ?

Et si vous en êtes là, on a quelques réponses pour vous… Enfin, Patrick en a en réserve…

Patrick Giraudoux : L’idée de « One Health » vient de loin, de l’autre côté de l’Atlantique. On peut dire qu’elle est née lors d’une conférence organisée à Manhattan en 2004 par la Société (étasunienne) de conservation de la faune sauvage[1].


[1] Wildlife Conservation Society : Il s’agissait de faire réfléchir les personnes présentes sur les « maladies actuelles et potentielles » qui pourraient circuler entre humains, animaux domestiques et sauvages

Et en fait, c’était plutôt des mouvements sur la biologie la conservation[1] qui ont démarré ça, en disant, attention, les écosystèmes sont responsables des maladies qu’on peut contracter. Ce faisant, on établit un lien entre santé animale, santé humaine, santé des écosystèmes.

[1] Pour en savoir plus sur ce sujet, utilisez ce lien

De cette conférence émergent les 12 principes de Manhattan[1]. Le premier d’entre eux pose la nécessité de reconnaitre les liens existant entre santé humaine, animale et environnementale. C’est on ne peut plus explicite, sauf que c’est resté pendant 20 ans, soit non formulé, soit  instrumentalisé, par les corporatismes divers du monde la santé.

[1] Pour plus d’informations, utiliser ce lien

PG : Et là, c’est un des gros apports de l’approche « One Health », la santé humaine fait partie d’un ensemble de santés plus grand. Si l’on va plus loin, son objectif n’est pas de viser un état « zéro maladie » à tout prix, parce que ça, on sait qu’on n’y arrivera jamais. Non, on visera le moins de maladies possible dans un environnement qui ne favorise pas trop leur émergence et leur développement, en quelque sorte.

Cela veut dire que nous devons arriver à une pensée de la santé beaucoup plus systémique (au sens de plus large et plus englobant) que par le passé. Et, pour cela, nous devons arrêter de raisonner en silo, chacun dans son couloir, quoi !

ThB : Pour moi qui ai travaillé sur les questions d’organisation et de performance des entreprises, une telle vision des choses me va parfaitement. En effet, pour faire simple, un dysfonctionnement, ou une non-satisfaction client n’ont jamais une cause unique.

Aussi, pour le/la régler, on ne peut rester dans son couloir (couloir RH, couloir Achats, couloir Production…) et ignorer ce qui se passe à côté, ainsi que les conséquences sur les autres fonctions de ce que nous faisons dans notre « service ».

PG : Les zoonoses[1] sont faciles à comprendre : en prenant soin de la santé des animaux (son troupeau de vaches laitières, son chat, etc.), on préserve la santé de leurs propriétaires.

 On a là « une » entrée, mais ça va beaucoup plus loin maintenant, puisque prendre en compte les pollutions chimiques, c’est du « One Health », dès lors qu’on choisit cette approche globalisante, en considérant toutes les santés.

ThB : Je poursuis le parallèle. En entreprise, prenons l’agroalimentaire, et même l’habillement, l’utilisation d’une teinture dangereuse pour l’homme ou d’une matière première incluant un pesticide peuvent conduire à un problème sanitaire, une ‘‘maladie’’ chez l’homme. Et donc, pour « faire de la qualité », je ne me satisfais pas uniquement de la manière dont travaillent les salariés, mais je veille à ce qu’ils puissent utiliser des matières saines.


[1] Une zoonose est une maladie infectieuse transmise à l’homme par des animaux

PG : Si l’on revient à « One Health », c’est vrai que la question qui nous est souvent posée est : « Mais les plantes, on ne voit pas le rapport entre leur santé et celle des humains ? » Là aussi, c’est assez facile à comprendre. Si vous avez des plantes en bonne santé, parce que le sol fonctionne, parce qu’il y a des nutriments, ce qui permet aux plantes de se défendre contre les agresseurs, vous n’avez pas besoin, ou moins besoin, de produits chimiques. Donc une plante en bonne santé, à terme, c’est quand même aussi des humains qui ne seront pas exposés à des pesticides.

PG : Avec l’approche « One Health », on met en lumière la nécessité de pluridisciplinarité. C’est-à-dire que, quelque part, le médecin doit travailler avec les vétérinaires, travailler avec l’agronome,  avec l’écologue, même avec l’apport des sciences sociales. Pas même, surtout avec l’apport des sciences sociales d’ailleurs dans ce cas-là.

ThB : Au risque de hérisser le poil de certaines personnes qui nous liront, j’ai envie de dire que « One Health » et l’ISO 9001[1], et peut-être encore la 14001, sont des approches qui obéissent au même besoin de casser les silos, de travailler dans une logique client-fournisseur, une logique systémique…


[1] L’ISO 9001 est une norme qui propose un système de management de la qualité

PG : Si tu laisses le monde de l’entreprise pour t’intéresser à l’agriculture avec une approche « One Health », tu vas vers de l’agroécologie, tu ne vas pas vers de l’agriculture conventionnelle. Eh oui, celle-ci renvoie à l’utilisation de produits chimiques, de pesticides, etc. Et ce n’est pas très bon,

  • ni pour la santé des écosystèmes,  car ces produits font par exemple disparaître les pollinisateurs, les auxiliaires agricoles tels que les prédateurs et parasites des chenilles et des pucerons considérés, eux, comme des pestes agricoles, etc…,
  • ni pour celles des hommes, d’abord et en premier lieu les agriculteurs eux-mêmes et ensuite les consommateurs, qui sont exposés à des produits qui peuvent être cancérigènes ou des perturbateurs endocriniens.

Ça veut dire que tu as des plantes en mauvaise santé, si tu es obligé de traiter massivement contre leurs agresseurs.

Donc c’est là que l’agriculture peut entrer dans « One Health ». (Parfois), elle ne le fait pas explicitement, c’est implicite comme par exemple en agroécologie ou en agriculture biologique.

Pour conclure ce premier temps « One Health »

Au-delà de ce que je vous ai dit des parcours de Patrick et de moi-même, tous les deux, nous sommes des hommes de terrain. Par nos échanges et notre envie de chercher des parallèles entre des approches avérées (normes ISO d’un côté et approche « One Health », de l’autre), nous voulions mettre en lumière l’approche « One Health » dont, quelque part, nous sommes un maillon, une étape, des bénéficiaires potentiels. Et puis, c’est comme la qualité (ISO 9001), plus vous serez des prescripteurs informés et plus — collectivement — nous pourrons faire avancer notre monde dans le bon sens.

Notre conversation ne s’est pas arrêtée là…

Dans un prochain article, nous parlerons de l’histoire — c’est toujours intéressant de savoir d’où vient un principe, une approche, etc — de « One Health » et de ses acteurs, lesquels sont d’ailleurs intimement liés à son histoire.