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One Health, quels sont ses 3 acteurs ? (2/3)

Publié le 19 février 2025 ...

#Comprendre #Société

Avec Patrick Giraudoux, l’une des grandes voix — pour ne pas dire « la » voix — de One Health en France, nous avons échangé sur cette approche de la santé, l’idée étant de la faire connaître au plus grand nombre. Après l’avoir définie précédemment, nous continuons avec ces principaux acteurs.

 

TB : Patrick, si je résume notre échange précédent, One Health, une seule santé en français, est une approche globale qui lie santé animale, santé des écosystèmes et santé humaine. Cette approche repose sur une double logique imparable :

  • Si nous ne protégeons pas les écosystèmes, alors les animaux et les plantes qui les peuplent verront leur santé se détériorer et seront plus vulnérables aux maladies.
  • Si nous ne nous soucions pas de la santé des animaux et des plantes (sauvages et domestiques), le système aura plus de possibilités de nous transmettre des maladies.

Cette double logique repose sur des faits avérés et, concernant la transmission de l’animal à l’homme, des exemples récents montrent à quel point de telles zoonoses peuvent être terribles.

Tu as, Patrick, une formule qui résume bien cela et qui est facile à retenir.

 

 

PG : Oui, si, l’on étudie une maladie chez l’humain, c’est souvent trop tard. Pas forcément trop tard pour le soigner, mais trop tard pour faire de la prévention.

Nous savons que les écosystèmes où vivent les animaux influent sur leur santé. Nous devons donc bien étudier les animaux pour repérer le plus en amont possible l’émergence de maladies infectieuses qui, tôt ou tard franchiront la barrière des défenses immunitaires des humains…

 

 

TB : En disant cela, on voit bien se profiler derrière cette approche différents acteurs. Il y a évidemment celles et ceux qui travaillent sur les questions de santé humaine, mais il y a aussi les vétérinaires, et les écologues. Et c’est d’eux, de ton travail avec eux, que nous allons parler…

 

D’abord, les vétérinaires

PG : Qui dit animaux dit vétérinaires et il faut reconnaître que les vétérinaires ont vraiment été très proactifs pour exister autour du concept de One Health. En premier lieu, parce qu’ils ont vu une évidence dans le lien entre santé animale et santé humaine, par  le biais des zoonoses, ces maladies, qui vont des animaux aux humains.

J’ai découvert que les vétérinaires ont une vraie demande en la matière. Ils savent bien soigner les animaux domestiques – individuellement ou à l’échelle du troupeau – mais, pour ce qui est de la gestion de la faune sauvage et de la biodiversité au sein d’écosystèmes, ils ne sont que peu formés… Beaucoup de jeunes vétérinaires attendent cependant un minimum de contenu sur ces aspects aussi, de même que dans le domaine écologique. S’il parait difficile de les former à deux métiers différents en même temps, il est important de leur donner les éléments qui leur permettent de travailler avec des écologues professionnels.

Au-delà de ce besoin, les choses bougent. De nombreux chercheurs-vétérinaires ont acquis au cours de leur thèse de science une formation en écologie. Ainsi, le laboatoire Chrono-environnement[1], a recruté un jeune vétérinaire — Hugo Santenac. Il s’investit dans une association qui s’appelle « Vétérinaires pour la Biodiversité »[2]. Autre exemple, pour la fin de l’année, l’Académie vétérinaire de France prépare une journée qui s’appellera « Les vétérinaires et l’anthropocène[3] ».


1 Chrono-environnement , cocréé par P. Giraudoux compte un peu moins de 300 chercheurs

[2] https://www.vpbiodiv.com

[3] L’anthropocène est une nouvelle ère géologique dans laquelle l’impact de l’activité humaine sur la planète est devenu la principale force géologique et environnementale qui façonne la Terre.

TB : One Health est une manière de créer des ponts entre spécialités, entre spécialistes. Et toi, Patrick, tu mets en pratique cette idée qu’il faut casser les silos dans lesquels, si l’on n’y prend garde, nous nous installons tous et perdons de vue :

  • Ce qui se passe autour de nous,
  • Ce qui peut nous aider à avancer,
  • Mais aussi, ce sur quoi notre action, ou inaction, peut avoir des conséquences…

Je disais donc que tu crées des ponts, ou dynamites les silos et d’ailleurs, tu fais partie de l’Académie vétérinaire de France !

PG : Je ne suis pas vétérinaire, cela ne t’a pas échappé, et oui, j’ai pourtant intégré cette académie !

La pandémie de COVID19, à ébranlé bien des certitudes dans le monde de la santé en général, et les vétérinaires ont voulu redéfinir la santé publique vétérinaire. Pour cela, ils ont intégré à sa définition l’approche One Health et la notion de santé des écosystèmes explicitement. Le problème est que la définition de ce dernier concept ne fait pas encore consensus.

Sur cette question de santé des écosystèmes, un concours de circonstances a voulu que je sois invité à faire une présentation de ce que recouvre cette expression (santé des écosystèmes), puis à rédiger un article correspondant pour le Bulletin de l’Académie. Ensuite, on m’a proposé d’intégrer l’Académie vétérinaire de France, qui compte statutairement 15 % d’académiciens non-vétérinaires.

Appartenir à cette académie était une formidable opportunité pour établir des ponts entre le monde vétérinaire et celui de l’écologie, et donc de faire bouger les choses sur One Health. J’ai donc accepté. J’y ai reçu un accueil très chaleureux et bienveillant, qui m’a amené  à être aujourd’hui président, en son sein, de la commission biodiversité et rédacteur en chef adjoint du BAVF[1] ! Celui-ci publie des articles dans les domaines scientifiques, techniques, juridiques, historiques et éthiques où s’exercent les compétences du vétérinaire.

C’est formidable puisque cela me donne la possibilité de faciliter des prises de conscience au sein de cette compagnie et, par extension, dans le monde vétérinaire. Pour preuve, nous avons organisé une manifestation en septembre 2024, « Vivre avec la faune sauvage ». Et nous renouvelons l’expérience cette année avec, pour thème « Les vétérinaires et l’anthropocène ». C’est très intéressant, puisque, à chaque fois, cela permet d’aider la profession à son « écologisation ».


[1] BAVF : Bulletin de l’Académie vétérinaire de France https://academie-veterinaire-defrance.org/publications/bulletins-de-lavf

Passons aux médecins 

TB : Tu as également pris ton bâton de pèlerin pour évangéliser le monde médical.

PG : En fait, j’ai été très inspiré par les écoépidémiologistes[1] médicaux. Le monde médical, j’ai travaillé avec pendant 30 ans, car les problèmes qu’on me demandait de résoudre rendaient cette collaboration indispensable.


[1] Un éco-épidémiologue est un scientifique qui hybride les connaissances et savoir-faire de l’écologie avec ceux de l’épidémiologie. Il est  capable d’analyser, d’étudier et/ou d’identifier les facteurs d’émergence des maladies parasitaires et infectieuses (avec, donc, de solides connaissances en écologie et mathématiques appliquées)

Pour en revenir à la formation, dans la totalité du cursus médical, depuis quelques années seulement, les étudiants ont, dans certaines universités, moins d’une dizaine d’heure consacrées à « l’environnement ». Par contre, ceux qui ont été formés jusqu’en 1966, l’étaient dans un tronc commun nommé propédeutique, avec les autres biologistes. Ils avaient donc des formations solides en zoologie, en botanique, etc.  C’est de cette formation que sont issus les éco-épidémiologistes comme Jean-Antoine Rioux et d’autres qui m’ont tant inspiré. Ces derniers ont, d’une certaine manière, été précurseurs d’une approche One Health. Leur connaissance de base leur permettait plus facilement d’hybrider les savoirs. Ça, ça n’existe plus. Dans les formations médicales actuelles, la quasi-totalité des horaires est consacrée à la connaissance du corps humain et à la médecine du soin.

La part « santé publique » est réduite à la portion congrue, sauf en fin d’étude, et seulement pour celles et ceux qui choisissent un internat en santé publique. Cette formation n’aide donc pas à l’ouverture vers les disciplines non-médicales requises dans une approche One Health.

Et les écologues ?

TB : On a parlé des acteurs de la santé animale et humaine, maintenant, parlons des écologues, acteurs de la santé des écosystèmes.

Juste avant de te passer la parole, je voudrais rendre justice à ces professionnels dont tu fais partie. En effet, vous n’êtes pas seulement des sachants d’un domaine précis , la santé des écosystèmes. Vous êtes également des passeurs, des formateurs, pour les autres acteurs (parfois même leur mauvaise conscience). De manière on ne peut plus concrète, vous créez du lien entre les trois santés, entre les experts de ces 3 santés !

PG : Cette vision est probablement un peu trop simplificatrice. Le lien entre médecine vétérinaire et médecine humaine a été très tôt revendiqué et mis en pratique. Je pense notamment au concept de « One Medicine ».

Par rapport aux autres acteurs dont on vient de parler (médecins et vétérinaires), effectivement, notre légitimité n’était pas assise d’avance.

Pour commencer, les professions vétérinaires et médicales sont structurées de longue date avec des ordres, des académies, et des formations très codifiées.

En écologie, il n’y a rien de tout ça. Donc, la profession d’écologue n’est pas aussi précisément ‘‘cadrée’’ et définie que celle de médecin ou de vétérinaire.

TB : Médecins et vétérinaires ont l’habitude de se rencontrer entre professionnels. Par contre, quand on veut rencontrer, interroger, l’écologue, vers qui aller ?

En termes d’institutions, va-t-on vers les écoles d’agronomie ? Est-ce qu’on se tourne vers les universités ? Si oui, lesquelles ? Quelles certifications des formations en écologie ? Il s’agit typiquement de licences professionnelles ou de masters ou de doctorats, mais toutes n’ont pas les mêmes finalités.

En fait, un ou une écologue, c’est un ou une scientifique qui étudie l’écologie, c’est-à-dire les relations entre les êtres vivants, entre eux et avec leur habitat. Ces connaissances et savoir-faire, selon le niveau acquis (technicien supérieur à Bac+3, ingénieur à Bac+5, docteur à Bac+8) lui permettent d’être pertinent dans la gestion des écosystèmes à leurs différents niveaux d’organisation (écosystème, communautés animales et végétales, populations).

TB : Maintenant, précisons le rôle de l’écologue dans le cadre de One Health, et de son volet santé des écosystèmes.

PG : On peut l’illustrer, par un exemple que je connais bien pour avoir été le sujet de ma thèse et un des sujets principaux des recherches qui ont suivi. L’échinocoque multiloculaire est un petit vers dont la forme adulte se développe dans l’intestin des renards qui ont consommé un campagnol infecté. La larve de ce ténia se développe, elle, dans le foie du campagnol.

Le campagnol est infecté en absorbant des œufs du ténia qui sont évacués avec les crottes du renard. Le chien peut aussi héberger la forme adulte du ténia, en consommant des campagnols infectés par les oeufs du parasite contenus dans les crottes de renard (ou d’un autre chien).

Comprendre les conditions qui permettent à ce cycle de se perpétuer est typiquement un travail d’écologue.

Le médecin intervient au moment où le ténia infecte un patient, le vétérinaire veillera, lui, à ce que le chien dont il s’occupe soit vermifugé régulièrement.

Par contre l’écologie permet de comprendre dans quelles conditions les fluctuations d’abondance des campagnols seront importantes, quelle sera l’effet de ces fluctuations sur la relation proies-prédateurs et donc sur le régime alimentaire du renard et le risque de transmission du parasite.

Ces connaissances permettent d’établir, par exemple, une cartographie des zones et des moments où le risque de transmission est plus élevé.

La bonne gestion du risque tient donc à la bonne articulation entre écologie des hôtes du parasite, médecine vétérinaire et médecine humaine.

PG : L’écologue cherche à comprendre le fonctionnement des systèmes et les causalités indirectes ou circulaires qui en découlent. Par exemple, souvent, la question qu’on nous pose, c’est : « mais les plantes, on ne voit pas le rapport entre la santé des plantes et la santé des hommes ».  En fait, c’est assez facile à comprendre. Les agrosystèmes sont des écosystèmes simplifiés à l’extrême. Prenons un agrosystème lambda : un sol en bonne santé riche en micro-organismes, en matière organique et en vers de terre est aussi aéré et riche en nutriments indispensables à la plante.

Les plantes qui poussent dans un tel type de sol peuvent mieux se défendre contre les agresseurs.

Par voie de conséquence, elles ont moins besoin de produits chimiques dits phytopharmaceutiques (et anciennement appelés pesticides).

Donc une plante en bonne santé, à terme, c’est aussi des humains qui seront moins ou pas exposés à ces pesticides..

… C’est un des principes de l’agriculture biologique et plus généralement de l’agro-écologie. Et c’est dans la compréhension de ces systèmes que les écologues jouent pleinement leur rôle.

TB : Nous retrouvons prochainement Patrick. Et là, nous reparlerons terrain !

One health = 3 santés