Avant de laisser la parole à Arnoult Seveau qui a transcrit les longues et nombreuses discussions qu’il a eues avec Roger Jouve, sachez que leur collaboration a donné naissance à trois livres. Ici, nous nous arrêterons au premier des trois, « Roger, une vie de berger entre Durance et Luberon ». Suivront « Roger le berger raconte 30 Histoires d’Animaux du LUBERON » et « Le troupeau de Roger, une pratique pastorale en Luberon ». Je vous en reparlerai, peut-être au moment où les cigales chanteront à mes oreilles dans un petit village du Luberon…
Roger, berger en Luberon
Publié le 18 avril 2024 ...
Roger, berger et peintre pointilliste d’un Luberon secret
Il y a longtemps, j’ai été a amené à découvrir ce coin de France que l’on appelle le Luberon, ses villages perchés, ses marchés, ses petites routes et, parfois un troupeau de moutons pas forcément pressés de me céder le passage. Peut-être, à cette époque, ai-je croisé Roger Jouve, l’ai-je salué d’un geste rapide, l’oubliant une fois disparu de mon rétroviseur. Par contre, il y a quelques années, un couple d’amis me l’a présenté sur un marché à Coustellet. Roger, une mémoire du Luberon, de ses collines, gorges et vallons, jusqu’aux berges de la Durance, un personnage à part puisqu’à la fois ancien berger et au centre de trois livres.
Rencontre marquante pour moi, Roger étant le témoin d’une époque où le Luberon était un monde rude, difficile et où la modestie des vies des Provençaux avait peu à voir avec celles de ses nouveaux habitants, venus du monde entier, certains y prenant racine et d’autres repartant dans leur bus climatisé après quelques photos de champs de lavande.
Pour moi, Roger était le témoin de ce monde ancien, de ses terres secrètes pour l’étranger que j’y suis toujours. Il était à la fois un livre ouvert sur ces collines, ces avens, ces baumes et ruisseaux et un peintre pointilliste qui, à petites touches, décrit la vie de ce recoin de France où soleil et mistral sculptaient les caractères et les paysages.
Parce qu’il est parti vendre ses bouquets de Provence et son migon dans un autre monde, j’ai eu envie de vous le faire connaître, le mieux étant de partir de ses livres et d’anecdotes de personnes qui l’ont connu.
[1] Nom provençal du crottin de brebis
Roger le conteur, Arnoult l’écrivain et les brebis
Pour cette première rencontre, je vous propose de le découvrir dans un livre intitulé « Roger, une vie de berger entre Provence et Luberon ».
Avec ce livre[1], à petits pas, à petites touches comme je l’écrivais plus haut, nous le suivons au fil des huit décennies au cours desquelles il a « mené » ses brebis entre le petit Luberon et les iscles[2] de la Durance.
Avec lui, Arnoult Seveau qui a retranscrit les propos et souvenirs de Roger.
Ce sont des moments précieux puisqu’en conduisant ses brebis des semaines durant, Roger a accumulé — année après année, décennie après décennie — une somme de connaissances, développé des savoirs qui ont intéressé nombre de spécialistes et scientifiques du parc naturel régional du Luberon. Pour cela, durant des années, une fois sa journée de travail achevée, il a fait ce qu’il nous conseille :
[1] Arnoult Seveau a édité ce livre à compte d’auteur. Il est commercialisé, comme les deux autres par les éditions Cardère installées à Avignon.
[2] Le mot provençal « Iscles » signifie îles
Ce qui m’a progressivement imprégné au fil des conversations qu’il a eues avec Arnoult Seveau, c’est cette vie tout entière consacrée à un travail dur et sans fin. Il ne s’en plaint pas, puisque la somme de tous ses jobs concourt à la concrétisation d’un rêve d’enfant, un troupeau de brebis. Il va donc multiplier les emplois, les travaux pour économiser et acheter des brebis, cinq la première fois, accompagné de son père. Il a alors 15 ans et nous sommes en 1959.
Une terre et une vie dures
J’avais déjà pris conscience de la dureté de la Provence en écoutant le photographe Denis Brihat[1]. Certaines de ses photographies témoignent de ce monde où « la vie n’est pas facile ».
Roger, dans les premières pages du livre d’Arnoult Seveau, nous raconte une enfance où la vie s’écoule dans un espace relativement limité, « entre la ferme des Mayorques et le mas du Trouquet à la Roquette », deux lieux où il a vécu. Sa mère a été bergère. Elle a mené jusqu’à quatre-vingts brebis. Elle l’était alors qu’il y avait encore des attaques du loup, entre 1918 et 1920. Son père avait plusieurs activités. « Il faisait du bois » qu’il vendait. Il avait également « une terre près de Cavaillon. Il avait sept ou huit mille mètres carrés de fraises et un peu de vigne ».
[1] Denis Brihat s’est installé dans le Luberon, à Bonnieux, en 1958
Il peint, sans fard ni plainte, une vie sobre, une vie qui peut nous sembler dure à nous lecteur du XXI° siècle. « Pas de montre à la maison, même pas de réveil. Pour l’heure de l’école, on se base uniquement sur le soleil ». « On a toujours mangé quand on avait faim ». Pour la lumière, le soir, « ma mère faisait un grand feu et on s’éclairait avec une lampe à pétrole et, quand il n’y en avait plus, on s’éclairait avec du pin gras, des tiges de pin brûlant lentement » que son père plantait dans des anfractuosités des murs de la maison. Dans sa chambre, à l’étage, pas de chauffage. Et, pour s’éclairer, Roger a « une lampe à huile. Pas de bougies, elles étaient chères et rares ».
Dans cette vie d’après-guerre où l’on va progressivement glisser vers les années 60, pas de place pour le gaspillage entre Petit-Luberon et Durance.
« Aux Mayorques, on avait une citerne, et quand elle était vide, on allait tirer l’eau du puits. C’est arrivé l’été que le puits et la citerne soient à sec, alors ma mère devait descendre jusqu’à la Sénancole. ]… [On n’avait pas assez d’eau pour arroser ».
Qu’à cela ne tienne, les légumes et plantes seront récoltés précocément…
Son école préférée, celle de la nature
Roger sera scolarisé de sept à quatorze ans. Là encore, au détour de ses souvenirs, on perçoit un monde où tout est compté. Ainsi, comme il vient de la montagne, l’instituteur lui « demandait souvent de ramasser un petit fagot de bois pour allumer le poêle à charbon de la classe ». Son frère et lui étaient « était fiers et contents de partager » ce bois qui réchaufferait la classe.
Sur cette période de sa vie, il avoue qu’il n’a « rien appris à l’école ». Pour preuve, il dira un peu plus tard que c’est « en vendant mes premiers agneaux que j’ai appris à compter correctement ».
L’appel de la nature est déjà plus fort que tout : « Je préférais rester en silence à observer la nature. C’était ça, mon école préférée », dans des lieux sauvages d’où, il voyait une bonne partie du Luberon et toute la vallée de la Durance, comme ce qu’il y a à ses pieds.
De l’observation nait le savoir
Ainsi, il se rend compte que les escargots aiment les feuilles d’artichaut. Il va donc chercher à en récolter pour nourrir ceux qu’il élève dans un enclos.
Il demande la permission aux agriculteurs de « récupérer les pieds d’artichaut après que les artichauts soient coupés ». À partir d’une autre observation — un renard qui vient se « frotter » régulièrement contre une plante — il en parle avec « Peretti, le vétérinaire de Cavaillon ». Ce dernier lui dit de « la faire bouillir ». Il obtient un répulsif contre les puces qu’il utilisera ensuite avec ses bêtes.
Ces observations lui permettront de comprendre les potentialités du fumier de brebis. « Pas le fumier frais qui brûle tout, mais un fumier de quinze à dix-huit mois [… ] à faire exploser la végétation ». C’est la naissance de l’or brun… Le fameux migon.
Une vie de rencontres
Avec Arnoult, au fil de ses souvenirs, il parle de ses rencontres, Achille, les Chabrans… Il nous parle des secrets du maquignon, du « garde Audibert, qui fauchait le bord du ruisseau sur un mètre cinquante tout le long »…
On découvre une époque où les poissons étaient nombreux dans le Luberon et la Durance.
Et puis, il y a ses chiens. Importants quand on est berger. Il en conserve des photos et les « regarde régulièrement comme on regarderait des photos et des amis disparus. Té, c’est de bons souvenirs ».
Grâce à Arnoult, et ses conversations avec Roger, vous allez découvrir un homme simple, un amoureux de la nature et de ses animaux. Il constate le massacre des blaireaux, l’arrivée des premiers castors. Il va suivre une femelle castor sur quatre à cinq ans, avec ses différentes portées.
Citons encore Coco, « un grand corbeau, pas de ceux de la montagne, mais un corbeau d’ici, de Durance. Il m’a fait passer de belles années ». Vous découvrirez d’autres animaux dans ce livre, d’autres auxquels il s’est tout autant attaché.
Après sa vie de berger, une vie où il a beaucoup appris, vient le moment de transmettre.
Roger deviendra guide et même compagnon d’aventure de spéléologues au sein du GREC[1]. Le coin est en effet riche en baumes (grottes,) en avens (gouffres). De ses virées avec deux membres du GREC, il ramène un jour « des os d’animaux qui n’existent plus… ». Il fait également découvrir aux spécialistes du parc du Luberon des plantes ou des arbres rares.
[1] Groupe de recherche et d’étude des cavités du Luberon
Des livres témoins
Dans quelques semaines, quand je me rendrai sur le marché de Coustellet, je ne verrai pas Roger puisqu’il nous a quittés. Peut-être a-t-il emmené quelques bouquets d’herbes de Provence là-haut ? Allez savoir.
Pour nous qui restons, grâce à Arnoult Seveau, restent trois livres[1] avec lesquels retrouver cet homme d’une grande gentillesse et des lieux où nous rendre, nous arrêter, nous asseoir et regarder, écouter.
Tendez l’oreille pour, peut-être, entendre les descendants de Coco ou voir filer entre les bosquets des renardeaux dont il a connu l’arrière, arrière, grand-père. Mais j’en dis trop. Je vous laisse tourner les pages des livres d’Arnoult Seveau.
[1] Les trois livres d’Arnoult Seveau : « Roger, une vie de berger entre Durance et Luberon », « le troupeau de Roger » et « 30 histoires d’animaux du Luberon ».
Concernant les photos illustrant cet article, je tiens à remercier Arnoult Seveau pour ses photos (photos en couleur sauf la scène de marché) et Sophie Gunther (photos en noir et blanc).
Concernant les extraits, merci à Arnoult Seveau qui m’a permis de piocher, avec parcimonie, dans le premier livre qu’il a écrit à partir de ses conversations avec Roger.
Concernant l’inspiration qui a guidé mes doigts sur le clavier, merci à Roger Jouve que je ne reverrai pas sur le marché de Coustellet…
Enfin, tout cela n’aurait pas vu le jour, si Bernard et Marie-Hélène ne m’avaient pas écrit un jour de février pour m’annoncer le départ de Roger… Merci à eux, par ailleurs prescripteurs de bio.